Façade boulevard victor

Façade boulevard victor

Façade boulevard Victor

Façade boulevard Victor
paquebot

Facade du paquebot

Facade du paquebot

Vue de l'arrière

Vue de l'arrière

mercredi 24 mars 2010

Architectes de génie, ou règlements municipaux?

De Paris à new York, on oublie souvent que les plus beaux immeubles de l'histoire de l'architecture sont bien souvent le fruit des contraintes imposées par les règlements d'urbanisme des cités. Loin de limiter la créativité des architectes elles ont façonné nos villes, leur donnant l'apparence qu'on leur connaît en obligeant les architectes à user d'ingéniosité et d'inventivité. New York et Paris sont certainement les deux villes modernes qui ont eu les règlements municipaux les plus stricts aux XIXe et XXe siècles. 

A quoi ressemblerait la capitale de l'hexagone si le règlement d'Haussmann du 27 juillet 1857, précisant les gabarits autorisés pour les façades sur rue, n'avait pas été adopté? Probablement à une ville aussi hétérogène que Bruxelles, dans laquelle les trente glorieuses n'auraient pas hésité une seconde à construire les pires horreurs. Le règlement déclarait que la hauteur maximum dorénavant permise pour les futurs immeubles construits à Paris serait de:

11,70m pour les voies de moins de 7,80 m de large, 
14,60m pour les voies de 7,80m à 9,74m de large
15,55m pour les voies de 9,75m à 20m de large
20 mètres pour les voies de 20m et plus


sans toutefois dépasser 5 étages carrés au dessus du rez- de-chaussée. Il y était aussi précisé que toutes les nouvelles constructions devraient aligner leurs balcons, corniches et toits avec les autres immeubles du même îlots (21 septembre 1855)










Ces règlement furent modifiés à plusieurs reprises:
-en  1882 en autorisant les oriels à partir de l'étage noble, c'est-à-dire au-dessus de l'entresol mais devant être démontables, les bow windows de bois et de métal sont autorisés, sans toutefois dépasser la corniche.
En 1893 en autorisant les saillies en briques ou en pierre, sans toutefois dépasser la corniche.
En 1902,  en autorisant les saillies à dépasser la corniche, donnant la possibilité aux architectes de créer des rotondes d'angle aux formes les plus diverses. Une plus grande hauteur est permise si l'immeuble est construit en retrait de la rue.
 À Paris ces règlements furent rigoureusement appliqués, la preuve en est que tous les immeubles haussmanniens sont plus ou moins de même hauteur, ils ont  5 étages au dessus du rez-de-chaussée et de l'entresol, un toit mansardé, assez souvent un balcon filant au 1e et au 5e étage et composent les grandes avenues du second empire, dont l'avenue de l'opéra est l'un des meilleurs exemples.

 




Les immeubles post-haussmanniens ont souvent profité de l'autorisation de saillies de 1882 et sont reconnaissables à leurs bow-windows de bois ou de métal, ceux d'après 1893 de bow windows de pierre ou de brique.
Les immeubles  d'après 1902 ont parfois une tour et une coupole d'angle, sont généralement plus haut que leurs voisins, et possèdent quelquefois une loggia au 5e étage. Nous ne traiterons pas des immeuble d'après guerre, mais ils respectent  la loi de 1902 qui a été modifiée par le plan d'urbanisme de 1967, celui qui a à mon avis défiguré la capitale en permettant la construction de tours pendants les trente glorieuses qui ont mal vieillies.  Ces règlements successifs ont créé le paris moderne, l'immeuble haussmannien et les grands boulevards si chers au coeur des parisiens et des millions de touriste que Paris attire chaque année.

 New York n'a pas échappé au compas de l'urbaniste. Déjà, la trame de la ville a été décidée en 1811 et respectée jusqu'à aujourd'hui, même central park était prévu et figure sur le  plan original de la ville de 1811, alors qu'il se trouvait en pleine campagne, et que les rues qui le bordent n'existaient pas encore. Il fut cependant agrandi lors de sa construction en 1853. La forme des grattes-ciels New yorkais, indissociables de la mégapole américaine n'est pas 
l'invention de brillants architectes, mais est imposée par une loi de 1916. Après que les premiers gratte-ciel firent leur apparition, ( Woolworth building de Cass Gilbert, 1913, 57 étages)  il fut voté une loi  afin d'éviter que les rues ne deviennent trop obscures et
mal aérées. Il fut décidé de limiter la hauteur de la façade des immeubles sur rue, comme on l'a fait à Paris en 1857,  par rapport à la largeur de la voie sur lequel ils sont construits. Il était possible pour le promoteur de construire ensuite de manière pyramidale, mais sans dépasser un axe imaginaire partant du milieu de la rue au sol à la hauteur maximum des façades sur rue.  Une pyramide pouvait donc être construite directement au-dessus de la hauteur maximum autorisée mais peu pratique les architectes ont imaginé des retraits successifs ou terrasses,  afin d'avoir des étages carrés et faciliter l'ouverture  des fenêtres.













Contrairement à Paris il était donc possible de construire plus de 5 étages carrés à New york, en retrait, mais le rapport entre le gabarit et la rue reste pratiquement le même. La forme de l'Empire State Building est donc imposée par les gabarits de la loi de 1916, lui donnant cette forme qui donne l'impression qu'il perce littéralement le ciel.







  
Une exception au règlement de New York de 1916, si l'immeuble est construit sur 25 % ou moins de  l'îlot, aucune limite de hauteur n'est imposée. C'est contraint par le règlement de 1916 que Mies Van der Rohe a imaginé le Seagram Building (1954-1958) à New York, L'immeuble en hauteur sans retrait ne pouvait être construit que sur 25% de l'îlot, c'est donc la ville qui a en quelque sorte imposée cette esplanade que Mies Ven Der Rohe a recouvert de granit et surélevé; comme pour faire un socle monumental à cette magnifique colonne des temps modernes. A quoi aurait ressemblé cet immeuble s'il avait été conçu après 1961, date à laquelle le règlement de 1916 a été abrogé? Il eut probablement été assez semblable,  à cause de son architecte, mais la Seagram aurait peut-être voulu rentabiliser le terrain en construisant sur toute la surface du sol, le résultat eut été très différent.






On peut lire sur le site du Grand Paris les suggestions de  tas de gens ignorants qui suggèrent de surélever les immeubles de la capitale du 19e siècle de Walter Benjamin, voire de raser et de construire des tours, parce qu'à New York c'est plus sympa, ou qu'à tokyo ça fait tellement plus moderne.  Ils ont oublié que New York est une ville récente en comparaison de Paris, qui existait il y a deux milles ans et, qui compte une multitude de rues étroites, une ville qui  a de l'histoire, qui possède une des plus belles harmonies architecturales,  et qui attire plusieurs dizaines de millions de visiteurs chaque année, c'est la ville la plus visitée du monde. Ils ont aussi oublié  qu'à new york les avenues mesurent environ 45 mètres de largeur, et que l'on pourrait loger la tour Eiffel horizontalement entre la 5e et la 6e avenue. Les promoteurs du second empire, comme ceux de New York auraient certainement construit des immeubles de très grande hauteur s'ils avaient eu l'ascenseur et les avenues permettant de telles constructions. Je tiens à rappeler que les premiers immeubles d'habitations parisiens à planchers d'acier datent de la guerre franco-allemande de 1870-1871, alors qu'un promoteur qui ne pouvait s'approvisionner en madrier de bois décida de faire les planchers avec des rails de chemins de fer. Ce n'est donc pas parce que les français ignoraient comment construire des gratte-ciel d'acier qu'ils n'en ont pas construit dans la capitale. Paris n'a pas construit d'immeubles de grande hauteur, parce que Paris n'est pas vulgaire comme la jeune Amérique, à Paris on construit en pierre, Paris est une ville de beauté et de bon goût, et ses immeubles servent à mettre en valeur ses monuments grâce aux perspectives qu'ils créent. Les français n'étaient pas plus stupides que les américains: ne sont-ils pas à l'origine de la statue de la liberté dont la structure été construite par Eiffel et qui fut offerte aux états-unis en 1886?  N'ont ils pas construit la tour Eiffel en 1889, la plus haute construction du monde jusqu'à la celle de l'Empire State Building et
Chrysler Building de New York en 1930? Si les lois d'urbanisme existent, c'est pour éviter l 'anarchie architecturale, et elles sont simplement dictées par le bon-sens. Je me permet cette digression parce que je me rend compte que les parisiens ne connaissent pas tous leur histoire, et aveuglés par l'Amérique, beaucoup seraient prêts à détruire Paris, prêts à l'échanger pour la modernité, alors qu'il y a des tas de villes qui échangeraient volontiers leur modernité contre un peu d'histoire. Lorsque j'entends parler de construire des tours dans le centre historique de Paris, je pense au Plan Voisin de Le Corbusier en 1925  qui prévoyait de construire des tours cruciformes entre la de la gare de l'est et la Seine, et du Louvre à la place de la république...



Les rues et les communes dictent donc la forme des  immeubles. Voici un cas éloquant: Le paquebot, dans le 15e arrondissement de Paris. Construit sur un boulevard particulièrement large (parce qu'il se trouve à la place des anciennes fortifications de Paris) en 1934, il est cependant toujours soumis au décret municipal de 1902, qui autorise les saillies à partir de l'étage noble, dont Pierre Patout a pleinement profité puisque tout le premier étage comporte une saillie d'un mètre sur la rue. L'immeuble de 5 étages carrés  en a en fait 8 au-dessus du rez-de-chaussée, puisqu'il y a un entresol, et que les 1e est  5e étages sont des duplexes en double-hauteur.

Dans les conditions exigées par la ville de Paris lors de la vente du terrain à Pierre Patout, il est spécifié que l'aquéreur " devra construire à ses frais à la pointe gauche du terrain une reserre destinée aux service des plantations (de la ville de Paris) close et non couverte sur une façade de 8 mètres, puis close et couverte sur une façade de 15 mètres, sur laquelle deuxième partie l'acquéreur pourra construire une terrasse jardin pour son usage personnel." Cette exigence de la ville explique le balcon terrasse à l'extrémité gauche du paquebot. 

Ensuite il est spécifié que  l'acquéreur "édifiera sur le terrain  un immeuble d'habitation dont les locaux seront loués à prix modestes." C'est certainement pour cette raison que l'immeuble comporte deux étages de duplexes de moins de 50 mètres carrés, et quatre étages de studios de moins de 25 mètres carrés, le tout construit avec des matériaux bons marchés, les murs sont de bétons, les sols de béton léger recouverts de ciment mélangé à de la fibre de bois, les cloisons de mâchefer, une sorte de  mélange de résidus de hauts fourneaux et de plâtre.






Une autre contrainte, plutôt étonnante fût imposée par la ville de Paris: " La façade  du côté de la reserre sera établie avec des retraits successifs, les plans de cette construction devront être soumis à l'administration"  Pierre Patout n'est donc pas à l'origine, des retraits successifs de la pointe du paquebot, ni de la vocation de l'immeuble d'habitation bon marché, et le local et le balcon qui sont à l'extrême gauche ont été imposés. Si l'on ajoute que l'immeuble épouse exactment la forme du terrain et que la hauteur et le nombre d'étages sont fixés par la ville, ont peut bien se demander si notre architecte y est pour quelque chose dans cet immeuble...

Comme pour tous les chef-d'oeuvres de l'histoire de l'architecture, c'est le génie de l'architecte à s'approprier les contraintes et à arriver à les déjouer, afin d'arriver à créer un immeuble qui traverse les modes parce que sa beauté transcende les époques qui fait la qualité et la postérité de l'architecture. 

Patrick Gasnier




Images, de haut en bas
- L'avenue de l'Opéra, Camille Pissaro
-Rues de Paris, temps de pluie de Gustave Caillebotte (il s'agit d'une rerpésentation de la place de l'Europe)
-Diagramme du départament d'urbanisme de la ville de New York illustrant l'axe au delà duquel un immeuble ne peut être construit  http://www.nyc.gov
-Empire State Building, 1930-1931
-Seagram Building, 1954-1958
-Maquette du plan Voisin, Le Corbusier, 1925
-Immeuble d'habitation , 3 boulevard Victor
-idem
-idem

Sources: Livres
American Art Deco, Duncan, Alastair, Thames and Hudson
Grammaire des immeubles parisiens, Claude Mignot, Parigramme
Paris XIXe siècle, l'immeuble et la rue, Françcois Loyer, Hazan
Mies Van Der Rohe at work, Peter Carter, Phaidon
Le Corbusier before Le Corbusier, edited by Stanislaus Von Moos and Arthur Ruegg

documents: Copie de l'acte de vente du terrain appartenant à la ville de Paris à Pierre Patout
Sites internet: www.nyc.gov







mardi 23 mars 2010

Les paquebots de béton







Peu de transatlantiques de l'entre-deux-guerres ont survécu au second conflit mondial, le temps a eu raison des autres, désuets, ils se sont retrouvés à la casse, exception faite du Queen Mary qui gît tristement à Los Angeles. En revanche certains immeubles de style paquebot des années 30 nous sont parvenus.  Cette salle à manger digne de la Compagnie Générale Transatlantique se trouve en fait sur le toit d'un immeuble, au 9e étage, bien loin de la France: c'est la salle à manger du restaurant d'un ancien grand magasin de Montréal, Eaton, maintenant fermé.  Si la ressemblance avec la salle à manger du paquebot île-de-France est étonnante, c'est qu'il s'agit en fait d'une copie. En effet, Madame Eaton qui aimait se rendre à Paris, empruntait l'île-de-France qu'elle affectionnait, et demanda à Carlu ( architecte du Palais de Chaillot), d'en reproduire la salle à manger pour le grand magasin de la rue Sainte-Catherine à Montréal. Ce lieu fermé au public depuis l'an 2000 à cependant été classé monument historique, mais est davantage oublié chaque jours et dépérit. Pour contribuer à la préservation de ce site, contactez Héritage Montréal.

   Le Paquebot,  Histoire d'un immeuble d'habitation pas comme les autres